Image extraite du Papyrus d'Any, magnifiquement présenté dans l'ouvrage présenté ci-dessous.
La grammaire égyptienne de Champollion
Bibliographie
21 juin 2015
Après de nombreuses hésitations, j'ai acheté la grammaire égyptienne de Champollion. S'il faut résumer dès à présent
l'ensemble du billet, précisons que cet ouvrage n'est aujourd'hui d'aucune utilité pour apprendre à lire les hiéroglyphes. Je le déconseille vivement
pour toute personne désireuse de commencer un apprentissage de la langue des hiéroglyphes.
Cependant cet ouvrage est d'une grande valeur.
L'édition proposée par Actes Sud
L'édition originale est probablement hors de prix. Je ne l'ai même pas cherchée. L'édition actuellement disponible à un prix raisonnable est celle d'Actes Sud.
Précisons toutefois que l'on trouve également l'ouvrage en téléchargement gratuit sur Internet.
Le livre fait 550 pages avec une très bonne qualité d'impression sur du papier épais et de qualité, avec un aspect un peu vieilli qui lui donne du charme, je trouve.
L'édition est une reproduction en format réduit (14,5 x 24cm) de l'édition originale (21,5 x 33cm). Mais honnêtement, cela ne se ressent absolument pas sur la lisibilité.
L'édition reproduit la polychromie utilisée dans l'édition originale. Cela dit, cette polychromie est très rare et n'apparaît que deux fois :
- Une première fois dans la partie consacrée à l'emploi des couleurs dans l'écriture hiéroglyphique.
- Une seconde fois dans la partie qui traite des déterminatifs.
Quel intérêt pour cet ouvrage
En achetant cet ouvrage, je savais qu'il n'était pas intéressant pour apprendre à lire les hiéroglyphes aujourd'hui. Mais c'est quand même un monument d'histoire.
Voici les éléments qui m'ont séduit :
- L'écriture manuscrite du maître. Toutes les écritures hiéroglyphiques et hiératiques sont de la main de Champollion. Je trouve que cela apporte une émotion non négligeable.
- Le degré de connaissance atteint par Champollion. Je me suis toujours demandé à quel point Champollion maîtrisait les hiéroglyphes. Et bien il est impressionnant de
voir le chemin accompli en dix ans seulement entre les premiers déchiffrements à tâtons de 1822 et l'écriture de cette grammaire entre 1830 et 1832.
- La démarche du maître. Tout au long de l'ouvrage apparaît l'élément clé sur lequel Champollion s'est appuyé, à savoir sa connaissance du copte. Toute la partie grammaticale est construite
par déduction ou comparaison avec le copte. Champollion adopte l'alphabet copte pour sa translittération. Cet appui sur le copte est tellement fort que Champollion peut écrire :
" dans les livres coptes,
le pronom précède le verbe conformément à la prononciation égyptienne de tous les âges ; tandis que dans les textes hiéroglyphiques et hiératiques, les scribes, se conformant à la règle d'exprimer d'abord l'idée
principale [...] placèrent toujours les pronoms simples immédiatement après le verbe, comme s'ils eussent été réellement des pronoms affixes".
Constater le chemin fait depuis Champollion
Au départ on est assez décontenancé en parcourant cette grammaire égyptienne tellement la façon de faire aujourd'hui est différente. Et évidemment,
je suis tout de suite allé voir la partie concernant les verbes et la conjugaison. En effet, c'est dans ce domaine qu'encore aujourd'hui les querelles sont vives et la compréhension la moins
évidente.
Voici donc le schéma de lecture de Champollion pour les conjugaisons :
- Le présent : il se forme par le verbe ajouté du pronom simple ou primitif qui porte en lui-même l'idée d'existence.
On y trouve une forme sDm=f :
Attention : il faut tout lire de droite à gauche :
" Je glorifie le dieu Phré dans l'occident. Je sers les dieux je sers [le dieu soleil qui est dans le ciel] "
Aujourd'hui, une forme [verbe]-[sujet] peut être considérée comme exprimant le passé, le présent, le subjonctif ou le futur ! En fait l'idée est que la construction verbale
égyptienne ne contient pas de valeur temporelle. C'est le contexte qui apporte cette information. Je traduirais cette phrase : "Je souhaite honorer Rê dans l'Occident, que je suive les dieux (et) que je suive [le die Rê qui est dans le ciel]".
On est donc très proche de Champollion. La différence entre le choix du présent ( "je sers") ou le subjonctif ( "que je suive" ) est souvent un choix du traducteur/lecteur ; en effet cette différence n'est pas toujours marquée dans les formes verbales égyptiennes. Pour les différences
au niveau de vocabulaire, il s'agit là aussi d'interprétation : "suivre" ou "servir" ; "glorifier" ou "honorer"... On ne peut pas dire que l'un ou l'autre soit faux.
Mais aussi une forme bAk sDm=f :
"Le chef du pays de Baschten voit ce dieu ; il est (étant) en épervier "
Étrangement, quand Champollion remet cette phrase dans son contexte il traduit par un passé simple : "Le chef du pays de Baschten aperçut le dieu qui, ayant pris la forme d'un épervier..."
. Cela montre combien la valeur temporelle est difficile à saisir. Bien que la structure bAk sDm=f fait penser à une forme sujet-imperfectif, le verbe mAA
ne présente pas la gémination. Je penche donc pour un perfectif avec sujet préposé, ce qui justifierait le passé simple : "Le chef du pays de Baschten vit ce dieu qui était incarné en faucon ..."
- Le passé : marqué par l'articulation n qui devient la véritable marque du passé. Pour Champollion le n forme un groupe avec le pronom ; pas avec le verbe. (Il n'y a pas d'exemples
avec un nom commun).
Cela correspond à la forme sDm~n=f
" ils craignirent lui au-dessus des hommes et des femmes tous
Cette présence du n rend cette forme verbale une des plus facile à reconnaître. Mais si Champollion l'associe au passé, on l'associe aujourd'hui plutôt à
une action accomplie. La différence est qu'une action accomplie correspond au passé, mais peut aussi se situer dans le futur : "Ils l'auront craint, lui, au-dessus de tout les autres". C'est le contexte qui permet de situer correctement l'action dans le temps.
- Le futur : il est exprimé au moyen du verbe jw selon deux constructions :
La première construction est jw=j r ...
" Je suis pour célébrer la panégyrie de mon père Osiris. "
De ce que je comprends Champollion dit que jw en tête de proposition est une marque du futur. Cela n'est plus acceptable aujourd'hui : jw à lui seul n'est pas un indicateur du futur. Champollion semble en avoir conscience
car dans son chapitre sur le passé on trouve une exemple qui commence par jw . Malheureusement, il n'explique pas davantage.
Toutefois, la
construction jw=j r + infinitif est toujours vue comme un futur : "Je célébrerai la fête de mon père Osiris".
La seconde est jw=j sDm=j : j'entendrai
" Illumine-nous, Ô Soleil, illumine-nous ! Nous ferons à toi des invocations"
C'est peut-être ici que le fossé est le plus grand. Champollion écrit qu'une forme jw=k jr=k est un futur "tu feras". Il me semble qu'aujourd'hui cette forme serait considérée comme un imperfectif : action en cours ou répétitive. Du coup je traduirais : "Puisses-tu nous illuminer Rê ! Puisses-tu nous illuminer (car) nous faisons pour toi
des acclamations."
Conclusion
Finalement, je suis très heureux de cet ouvrage. Certes il n'est plus utile aujourd'hui pour apprendre les hiéroglyphes. Et heureusement ! Oui, heureusement... Car depuis 1832, il est heureux que 183 années
de travail acharné par des générations d'égyptologues aient apporté une compréhension toujours plus poussée des hiéroglyphes.
Mais quelle joie de retrouver la main de Champollion ! Quel plaisir de voir devant soi la renaissance d'une langue. Et quelle admiration devant le chemin accompli par Champollion ! Car en effet,
Champollion montre une solide connaissance du vocabulaire, il arrive à lire les hiéroglyphes gravés mais aussi les manuscrits en hiératiques et il traduit des phrases prises dans toutes les époques
de l'histoire des hiéroglyphes de l'ancien empire à la période romaine. Il est vrai qu'aujourd'hui ses traductions sont à corriger avec l'apport des subtilités lexicographiques et grammaticales, mais
la capacité de lecture de Champollion permettait une bonne compréhension globale.
Champollion a écrit à propos de sa grammaire :
" J'espère qu'elle sera ma carte de visite à la postérité ".
C'est réussi : lire cette grammaire égyptienne, c'est se plonger dans l'univers de ce génie fondateur, de ce nTr nfr .
Commentaires
J.Dejugnat
- le
05 juillet 2015
"Je souhaite honorer Rê dans l'Occident et que je suive les dieux que je suis"
183 ans pour en arriver à ce charabia qui n'a aucun sens; je suis ahuri!
Hierotext
- le
05 juillet 2015
C'est de ma faute, la phrase était incomplète. Je suis allé voir la suite de ce passage. Alors ça donne : "Je souhaite honorer Rê dans l'Occident, que je suive les dieux (et) que je suive le dieu Rê qui est dans le ciel."
Le charabia peut avoir deux raisons : 1/ le traducteur n'est pas bon. 2/ le lecteur ou le traducteur ne comprends pas la dimension culturelle du texte.
Mea culpa pour la traduction. Pour le contexte, il faut y voir une sorte de prière pour l’au-delà où le défunt veut accomplir le trajet de vie et de renaissance du soleil chaque jour.
Christos
- le
22 septembre 2017
Je viens d'acheter aussi ce livre. Surtout pour ces premières pages en couleur et l'écriture manuscrite, c'est impressionant. Avec la translittération en copte ce n'est pas très pratique à lire mais c'est bien écrit pour cette période-là je suppose.